Guy BLANCHARD

Raflé à 18 ans par l’armée allemande en 1944, Déporté pour le Travail Forcé au titre du STO, Guy BLANCHARD rentre en 1945 sous l’habit rayé des concentrationnaires

Guy BlanchardGuy BLANCHARD, vous aviez 18 ans en 1944, né le 17 décembre, vous étiez de la classe et vous participiez au bal du 6 février 1944.

Oui, comme beaucoup de copains, nous ne voulions pas manquer cette fête et participer à ce bal. L’ambiance était extraordinaire et nous avons chanté la Marseillaise.
Je me souviens, passé minuit, j’ai entendu un avion passer en rase-motte au dessus de la salle de bal. Pris d’un pressentiment, je suis sorti pour tenter de m’enfuir. Je ne suis pas allé très loin. L’armée allemande avait déployé un cordon de soldats autour de la salle. J’ai dû rejoindre les copains. Vous connaissez la suite. Sous la menace des mitraillettes, les SS nous ont sorti de la salle et encadrés, garçons et filles, nous avons été conduits, sous les coups de crosse, et enfermés à l’usine de céramique voisine. De là, dans des wagons de marchandise, transférés à NEVERS avant d’être embarqués en Allemagne. Nous ne sommes jamais retourné auprès de nos parents.

Que sont devenues les jeunes filles qui participaient à ce bal ?

Comme nous, elles ont subi les coups de bottes et de crosse des SS et conduites à l’usine de céramique. Le lendemain elles ont été libérées dans la journée contre versement d’une caution en francs de l’époque.

Sur les 250 qui ont été arrêtés, certains jeunes ont été libérés et 120 ont été déportés pour le travail forcé en Allemagne nazie. Vous n’aviez pourtant pas l’âge du STO ?

Pendant notre incarcération à Nevers, toute la population s’est mobilisée pour tenter de nous faire libérer. Grâce à l’intervention des autorités civiles et religieuses, des jeunes travaillant dans les grandes entreprises et qui livraient des produits ou œuvraient pour l’Allemagne, ont été renvoyés à leur poste de travail. Ce n’était pas mon cas. Depuis l’âge de 13 ans j’étais bûcheron. Après mon certificat d’études, et bien que le maître avait dit à mes parents que je pouvais sans peine poursuivre des études, mes parents, de condition très modeste, ne l’entendaient pas de cette oreille. On m’envoya comme apprenti bûcheron dans la forêt voisine. A 18 ans j’étais toujours bûcheron doté d’une très forte constitution qui devait plus tard me sauver la vie.

Vous vous retrouvez fin février 44 dans une usine de Daimler-Benz...

Du 13 février au 15 juillet 1944 j’ai travaillé (si l’on peut dire travailler !) dans cette usine de mécanique près de Stuttgart. L’usine détruite par les bombardements, je suis transféré à Gaildorf. Toujours réticent à travailler pour les nazis, profitant de la pagaille créée par des bombardements successifs, avec quelques copains, nous tentons une évasion.

Pas de chance ! reprit, accusé de sabotage, refus de travailler et de tentative d’évasion, je suis emprisonné dans les caves de la Gestapo à Stuttgart. Traité de meneur et de chef de bande, maltraité, je suis interné au camp de WELZHEIM où j’endosse le costume rayé sous le n° 236. C’était le 18 octobre 1944.

(Ce camp de concentration est situé à 35 km à l’est de STUTTGART. Il fut créé en 1937 par la Gestapo à la place de la prison de la ville de WELZEIM. On estime de 10 à 15 000 déportés passés dans ce camp jusqu’en 1945.)

Je me souviens, en arrivant au camp, nous avons dû assister à la pendaison de 3 détenus horriblement mutilés sous la torture. Nous avons eu froid dans le dos. On nous a fait comprendre que c’était le sort réservé à ceux qui tentaient de s’évader.

Raconter l’horreur d’un camp de concentration ? Je veux oublier ce que j’ai vu à WELZHEIM. Ma constitution de bûcheron m’a permis de survivre tant bien que mal. J’ai eu faim. Mourir de faim à 20 ans ! Deux de mes camarades n’ont pas survécu.

Après WELZHEIM j’ai été interné dans le camp de SCHÖEBERG peuplé de juifs. C’était un kommando dépendant du camp de NATZWEILERSTRUTHOF. Comme eux, j’ai travaillé à la carrière de schiste. Tous les matins les SS effectuaient le tri des bagnards. Les moins valides, ceux qui étaient au bord de l’épuisement sortaient du rang pour être dirigés sur le camp de Dachau où la mort les attendait.

J’ai tenu le coup dans cette carrière. J’ai assisté presque tous les jours aux crimes commis par les SS sur les juifs. Vous ne pouvez pas relater ce que je vous raconte. L’horreur n’a pas de limites et ne peut s’écrire.

Début avril 45 les armées alliées approchent et la nervosité des SS est à son comble. Je profite du désarroi de mes tortionnaires pour tenter une évasion. C’était le 4 avril. Cette fois c’est pour de bon ! Je retrouve le 10 avril les combattants de la Légion Étrangère de l’Armée française près de TÜBINGEN. Je suis enfin LIBRE !

Comment s’est passé votre retour en France ?

Déporté au titre du STO en 1944, je suis arrivé à Paris avec le costume rayé et ma carte de rapatrié portant la mention « déporté politique ». J’ai été dirigé sur l’hôtel Lutécia où j’ai été accueilli avec chaleur. Rapatrié à St-Léger-lesVignes le 28 avril, en très mauvais état, je fus hospitalisé à Nevers. Victime d’un empoisonnement du sang j’ai subi plusieurs interventions chirurgicales et transfusions sanguines. J’ai réussi à m’en sortir. Mes deux camarades qui ont été des frères dans le malheur et qui n’avaient pas ma constitution de bûcheron n’ont pas survécu aux conditions inhumaines des camps.

Je suis resté un an sans pouvoir reprendre une activité professionnelle. Je suis entré ensuite comme employé à la Chambre de Commerce. J’ai suivi des cours, pris des responsabilités pour me retrouver aux Voies navigables des Ponts et Chaussés. J’ai terminé ma carrière comme responsable du canal nivernais. J’ai fait tous les métiers comme celui d’homme grenouille, un soir de Noël pour dégager une écluse prise dans la glace !

Au titre de « Déporté politique » vous avez obtenu une pension ?

Pas du tout ! Je n’ai jamais pu obtenir quoi que ce soit et malgré toute l’aide que j’ai reçue de la part de mon Association DT de la Nièvre ! Ailleurs on m’a proposé de prendre une carte de parti pour faire avancer mon dossier et on m’a proposé de faire une déclaration de “ Résistant“. J’ai refusé.

La seule reconnaissance obtenue, toujours grâce à l’aide de mon Association, est celle du gouvernement d’Autriche qui a validé mon passage dans le camp de Welzheim et de Schöeberg et versé une indemnité en 2004. Je reste un “Déporté du Travail“ et “un Déporté Politique“. Je souhaite que la mémoire de ces années terribles ne soit pas perdue pour les générations qui nous suivent. Nous avons trop souffert pour oublier.

Dans le Livre Mémorial de la Déportation nous retrouvons le nom de Guy BLANCHARD né le 17 décembre 1924 dans la rubrique III/20 des détenus dans les prisons du Reich. Il est porté Evadé le 10/04/45 du camp de SCHÖMBERG. La liste de ces détenus dans les prisons du Reich comporte 807 français. 144 sont décédés, 29 évadés, 503 sont rentrés et 16 sont portés disparus, 126 ont été libérés par les autorités allemandes.


La Rafle de DECIZE

Cette rafle, l’une des plus importantes de zone occupée, a fait l’objet de nombreuses publications au lendemain de la guerre. Toutes manifestations et rassemblements étaient interdits en zone occupée et ce bal de la Classe du 6 février 1944 constituait une manifestation d’hostilité envers les au- torités de VCHY et l’occupant allemand.

La région était sous tension. Quelques jours plus tôt, un chirurgien-dentiste de DECIZE, dénonciateur de résistants, était froidement exécuté dans son cabinet sous les yeux de sa patiente. Les Allemands étaient donc à la poursuite de ces résistants. Roger JAILLOT qui avait 18 ans en 44 avait lui aussi rejoint ce bal de la Classe. Dans son livre relatant les faits, publié en 1985, il soutient la thèse d’une dénonciation pour expliquer cette rafle qui a mobilisé 300 SS, des voitures blindées, un avion d’observation. L’armée allemande croyait encercler un maquis. Heureusement pour les jeunes, elle ne trouva ni armes ni document compromet- tant.

Celui, ou ceux qui avaient abattu le chirur- gien-dentiste se trouvaient-ils parmi les jeunes gens et jeunes filles arrêtés ? Cela est très possible. L’un d’eux était blessé à la main gauche. Les Allemands le savaient et l’on retrouvé parmi les jeunes. Plus tard Roger JAILLOT a appris que le malheureux avait subi des interrogatoires musclés avant d’être envoyé en camp de concentration. Entre le 6 février, date de la rafle, et le 10 fé- vrier, jour du départ pour l’Allemagne, les familles ne purent jamais approcher leur fils. Elles furent autorisées à apporter une valise de vêtements qui fut remise à chacun par les SS le jour du départ. Les familles étaient tenues à distance du quai de départ. Pour ces 120 jeunes de la région de DECIZE leur déportation a été une réalité que l’his- toire ne peut effacer.