La Fin Tragique de Trois STO

1943- Ligny en Barrois qui compte alors quelques 5 000 habitants se situe au sud du département de la Meuse, à 65 km à l’ouest de Nancy. Cette petite ville était en zone occupée et faisait partie de la zone “dite interdite“. C’est dire que la présence de l’armée allemande d’occupation était forte avec les nombreux services de renseignements qui l’accompagnent dont la funeste Gestapo.

Pierre LEFEVRE, ancien professeur d’Histoire à l’IUFM de Lorraine, à l’écoute de ses compatriotes, s’est engagé dans les “Dossiers Documentaires Meusiens“ à rechercher et publier les faits significatifs qui se sont déroulés durant cette période mouvementée de l’occupation afin de conserver, pour les générations à venir, la mémoire de ceux et celles qui ont été écrasés par le nazisme vainqueur.

Nous le remercions d’avoir accepté, pour le Proscrit, de publier l’histoire des victimes du STO de Ligny-en-Barrois et, plus largement, de ces classes 40, 41, 42, victimes expiatoires de la défaite de notre pays.

« A l’époque, Ligny-en-Barrois est assez industrialisée, dans un environnement par contre très rural. Sa spécialité, ce sont les industries de précision, surtout les verres de lunettes : Ligny est le berceau de la société ESSILOR appelée, à l’époque, Société des Lunetiers. Jusqu’en 1943, la cité et ses alentours n’avaient pas trop souffert ; néanmoins, en juin 1941, près d’une dizaine de militants de gauche, avaient été emprisonnés et internés à Compiègne ; certains avaient été libérés, pour d’autres, on ne savait pas ce qu’ils étaient devenus.

 

L’affaire de LIGNY

Le 1er Mars 1943, 103 jeunes du canton de Ligny-en-Barrois, passent une visite médicale en vue de partir pour le STO. Ces jeunes appartiennent aux classes 40, 41 et 42, cette visite est analogue à celle passée par les conscrits avant guerre.

Mais, après la visite, soixante à quatre-vingts jeunes défilent en ville, passent devant la gendarmerie et la Feldkommandantur, vont déposer une gerbe au monument aux morts en chantant « la Marseillaise » et « la Marche Lorraine ». Certains crient « A bas les boches ! » Malgré cette initiative osée, tous rentrent chez eux : la gendarmerie française n’est pas intervenue et les Allemands non plus. (Les gendarmes qui n’avaient pas transmis de rapport au Préfet, se sont fait rappeler à l’ordre). Or, une telle manifestation est rigoureusement interdite, évidemment !

La surprise est donc grande lorsque le 8 mars, la Feldgendarmerie vient arrêter la plupart de ces jeunes : deux autobus font le tour du canton et emmènent les « raflés » à la prison de Barle-Duc, dans l’ancienne École Normale de Filles à la ville-haute.

Certains jeunes, absents ce jour-là, se rendent de leur plein gré car leurs parents ont servi d’otages.
Là, dans la prison de Bar-le-Duc, ils sont interrogés par les services de la Gestapo de Nancy et subissent deux types d’interrogatoire...

Le 11 mars, rassemblés dans la cour, les détenus sont partagés en trois groupes : le premier est libéré : parmi eux, six jeunes mariés qui vont être à nouveau raflés une semaine après pour le STO. Le deuxième groupe est destiné au STO et le troisième, va partir en camp de concentration.

On ne sait pas comment a été effectué ce tri, sauf pour les hommes qui étaient en tête de cortège et considérés ainsi comme des meneurs, des instigateurs de cette manifestation.

 

Les Trois Martyrs du STO

Léon JOLY, Roger MORANT et René VARNEROT font partie de ces jeunes gens qui ont manifesté, puis qui sont arrêtés et qui sont envoyés en Allemagne au titre du STO. Tous les trois sont célibataires.

Léon Joly est né à Maulan le 10 décembre 1921, il travaille dans la ferme familiale. Roger MORANT est né à Naix-aux-Forges le 15 janvier 1922, il travaille aussi dans la ferme de ses parents. René VARNEROT est né le 2 octobre 1920 à Naix-aux-Forges, il conduisait la locomotive électrique qui tirait les péniches sur le canal de la Marne au Rhin.

L’histoire de ces trois jeunes est relativement bien connue grâce à deux sources : les lettres écrites par Léon JOLY et le témoignage, indirect, de l’un de leur camarade : Fernand Lambert. Léon Joly travaille dans une ferme à LOSSEN en Haute Silésie. Avant, lui et ses camarades avaient fait un passage à OPPELN (appelé aujourd’hui OPOLE en POLOGNE).

 

La fin Tragique

Pour nos jeunes, la guerre se déroule « relativement bien » si l’on peut dire. Néanmoins, dans sa dernière lettre, Léon Joly n’est pas aussi optimiste et le 12 décembre 1944, l’Armée Rouge approche.

Ce sont les seules nouvelles que leurs familles recevront. La Libération ne les verra pas revenir. Plus tard on apprendra que nos trois jeunes hommes sont morts, là-bas, en Haute-Silésie.

Probablement le 4 février 1945. Il a existé deux versions relatives à leurs décès.

- Alors que les Soviétiques progressaient vers l’Allemagne, ils auraient pu être tués ou fusillés par ceux-ci qui les auraient pris pour des Allemands.

- Ils auraient reçu l’ordre de se replier vers l’Allemagne, auraient refusé et auraient été fusillés par les SS lors d’une contre attaque menée par eux.

Au milieu des combats menés par l’Armée Rouge, les “civils“ qu’ils soient Allemands ou de toute autre nationalité subissent le feu et l’acier de la bataille. Fernand LAMBERT, de Menaucourt, qui était avec eux, nous livre enfin la vérité et raconte la tragédie.

... Avec mes camarades qui sont restés à LOSSEN nous avons vécu le martyr. Marcel Paton était « camouflé » avec une femme allemande dans une cave. Il a eu chaud. Les Allemands, pour vérifier qu’il n’y avait personne, passaient tout au lance-flammes ; et ce lance-flamme est passé tout près de Marcel : il a senti les flammes lui lécher le visage.

Ensuite, il a tout vu. Les Allemands ont sorti les Français de leur cave, les ont emmenés près de la place au fumier et les ont fusillés ! Sans doute pour deux raisons :

- Parce qu’ils n’étaient pas partis alors que les Soviétiques approchaient.

- Ou/et parce que l’un d’eux (LAVOINE de la Hte Marne jouait de l’accordéon). Et les Allemands ne l’ont pas supporté.

Ils ont tous été tués. Ils étaient presque une quinzaine.
Quant à ces trois jeunes gens, ils ont une plaque dans le cimetière de leur village mais la tombe est vide. »

Pierre LEFEVRE

Ligny-en-Barrois

 

En publiant ce témoignage, nous avons voulu sortir de l’oubli cette manifestation du 1er Mars 1943 à LIGNY-en-BARROIS et la faire connaître au-delà de cette petite ville de la Meuse. De nombreux livres rapportent quelques manifestations semblables en zone occupée et louent le courage d’étudiants (à PARIS) qui n’hésitent pas à braver l’occupant ou de partisans descendant de la montagne et défilant en ville à la barbe des autorités. La manifestation de ces jeunes issus des milieux industriels et ruraux mérite un grand respect et doit être prise en compte par les historiens afin que, pour les jeunes générations, elle serve d’exemple du courage devant l’adversité. Ces jeunes, que l’on retrouvera ensuite dans les camps de travailleurs forcés, constituent la preuve vivante du refus de la loi d’airain de l’occupant. Non ! les jeunes n’étaient pas des moutons. Face aux autorités, françaises ou allemandes de l’époque, ils étaient les mains nues et ils ont « subi » la déportation pour le travail forcé.

A LOSSEN une quinzaine de Français ont été fusillés par les SS. Qui sont-ils, hors ces trois jeunes de LIGNY ? A l’orée de la forêt ils ont été ensevelis dans l’anonymat le plus complet. Il y a quelques années, des familles ont fait le pèlerinage à LOSSEN elles ont fleuri ce modeste tertre et planté une croix avec deux noms. Qu’est devenue cette tombe ? Les anciens territoires du Reich sont parsemés de dépouilles de Français et d’autres nationalités, disparus, inconnus.

Que sont devenus ces jeunes partis directement en camp de concentration ? A LIGNY, ils ne sont pas oubliés et à l’occasion de la Journée de la Déportation la mémoire de ceux qui ne sont pas revenus est rappelée et leur sacrifice honoré.

Que soient remerciés ceux et celles qui dans leur village, leur ville, ont pris à cœur de rechercher la vérité des faits de cette période noire de 1942 à 1945 afin que l’on n’oublie jamais.