Un "séjour" obligatoire à GROSSBEEREN...

 

"C'est grâce à un chantage exercé par mes employeurs et les autorités françaises et allemandes, dont je ne donnerai pas le détail ici, que j'ai bénéficié d'un voyage gratuit et obligatoire en Allemagne.

J'ai d'abord été envoyé pour travailler dans l'usine AEG Borzig à Henigsdorf : là, repéré d'emblée par mon refus de signature du contrat de travail de STO, puis refusant de travailler dans la mesure du possible, et accusé à juste titre de propagande antinazie, j'ai été arrêté par la Gestapo à Berlin et dirigé sur le camp de Grossbeeren du 19 février 1944 jusqu'au 2 avril 1944 pour être ensuite tranféré au camp de concentration de Oranienbourg-Sachsenhausen.

 

La chronologie de ma vie au camp de Grossbeeren durant cette période s'est déroulée comme suit :

  • j'ai été transporté, avec quinze autres étrangers, dans une camionnette bâchée au camp. Là, un Russe blanc, à l'appel de nos noms, nous souhaita la bienvenue avec un gant de boxe et un coup de poing au visage. Puis on nous a fait mettre nus, et les quinze arrivants durent se baigner dans la même baignoire. On se rhabilla ensuite avec d'autres vêtements en lambeaux.
  • Le lendemain matin, un dimanche, nous sommes allés travailler le long des lignes de chemin de fer. C'est le seul jour où j'ai travaillé, donc mangé normalement, car le lundi, le typhus s'est déclaré et nous avons été consignés au camp.
  • Chaque matin, de très bonne heure, nous devions nous laver tous nus, à un seul robinet d'eau pour le camp, et courir autour de la place d'appel pour nous réchauffer, accompagnés par les coups de Schlague des gardes (SD).
  • Une soupe était servie à midi, sauf s'il y avait une alerte à Berlin (elle était alors reportée au lendemain). Il fallait tenir sa gamelle en hauteur car un chien de SD avait été dressé pour mordre la main qui tenait cette gamelle.
  • Le typhus s'étant aggravé, et on ne travaillait plus, à part les corvées du camp : transport des 15 morts chaque matin dans la clairière, latrines, eau, nettoyage de la baraque, etc...
  • Il faisait -20°C : on gardait donc les morts un certain temps pour profiter de leur ration de pain. Le soir appel sur la place centrale : il fallait rompre les rangs rapidement car les derniers servaient de cible aux fusils des gardiens, installés sur les miradors. J'ai été désigné une fois pour rechercher, parmi les morts de la journée, un camarade français dont les SD voulaient voir l'impact des balles du tireur.
  • Le typhus s'est encore aggravé. Des baraques sont réservées pour les malades où ils finissent de mourir en se vidant sur leur paillasse. Par précaution, les SD restent maintenant à l'extérieur du camp. Je suis désigné pour porter leur ration aux malades : ils ne désirent que de l'eau, et je peux alors récupérer le pain pour le partager dans ma baraque avec les survivants.
  • Nous étions trois lors de mon arrestation à Berlin : un alsacien nommé Heckel, qui est mort du typhus au camp, puis Romelly qui a été envoyé à l'hôpital de Berlin lors de l'évacuation du camp, et moi, qu'on dirigé en avril 1944 vers le camp de concentration de Sachsenhausen, où j'ai apprécié l'organisation et la solidarité, et non la meute de loups des détenus de Grossbeeren.
  • Arrivé au camp de concentration, j'ai été affecté au bloc 16, dit "le bloc des français" où mes compatriotes, vu mont état de délabrement, ont collecté pour me retaper : 17 croûtons de pain, une queue de hareng saur, et un demi-oignon.

Raymond LAPORTE