Auf dem Grossen GLEICHBERG 

Mon Père a péri dans un Kommando de BUCHENWALD et son  corps a été jeté dans une fosse commune par les S.S.

C’est la première fois que nous publions le témoignage d’un enfant dont le Père a péri dans un kommando AEL . Ce témoignage de Madame Passetemps-Poulin a été recueilli dans la boite de dialogue de notre site internet. Combien ont péri dans ce camp de la mort dont la sinistre réputation était connue des Requis et STO déportés dans la région de Thuringe ? On ne le  saura jamais.

Si le  mont GLEICHBERG fait partie aujourd’hui d’un circuit de randonnée très prisé en Thuringe, avec de larges chemins serpentant vers son sommet où les marcheurs peuvent se reposer sur une plate-forme, très peu d’entre eux réalisent sans doute que sont morts à cet endroit des centaines d’hommes, affamés, pendus, fusillés, épuisés, sous les coups des kapos. Il ne reste en effet de l’ancien camp de RÖMHILD qu’un bâtiment en ruines, un transformateur désaffecté, un bac en béton rempli de détritus, des ferrailles tordues et des tas de pierres recouverts de mousse près d’une vaste carrière abandonnée… Les SS ont en effet tout détruit en partant, puis les Russes y ont installé un poste d’observation et utilisé la forêt pour des manœuvres car la ligne de démarcation était toute proche. 

C’est pourtant là que mon père est mort le 10 novembre 1944, il avait 30 ans ! Il nous avait quittées, ma mère et moi, fin novembre 1942, «désigné » pour aller travailler en Allemagne en application des dispositions de la récente Loi du 4 septembre 42. Après avoir tout d’abord beaucoup hésité, et même différé son départ, il dut se résoudre à partir sous la menace de voir sa femme et sa petite fille, moi-même, déportées en représailles !

Il fut affecté, avec 40 autres requis, à un travail d’usine à Witterda dans la banlieue d’Erfurt. Il donna de ses nouvelles jusqu'en juillet 1944, puis ce fut le silence, un silence angoissant certes mais qui s’expliquait  par le déroulement de la guerre. Il n’y avait plus aucun courrier avec l’Allemagne, mais personne n’envisageait cependant le pire bien au contraire !

Et pourtant celui-ci arriva pour nous avec le retour des prisonniers. L’un de mes oncles revenait porteur d’une lettre annonçant le décès de papa. Elle émanait de l’un de ses anciens camarades de travail de Witterda qui le lui avait remise. Cette lettre donnait les circonstances de son départ.

Fin août 44, papa qui s’était vu octroyer quelques jours d’arrêt par un médecin pour une douleur au pied, était  resté au repos au baraquement …mais une dizaine de ses camarades, soit le quart des employés requis affectés à l’usine, s’étaient aussi dispensés d’aller travailler, ce qui  provoqua immédiatement la venue d’un policier ! Hélas, lorsque celui-ci  se présenta, papa jouait de la mandoline devant ses camarades ce qui l’indisposa très fort…aussi décréta-t-il aussitôt une reprise générale du travail pour le lendemain ! Or papa et deux copains, forts de leurs arrêts médicaux, s’en crurent dispensés… la Gestapo alertée vint les chercher, soi-disant pour les emmener à Erfurt…une simple punition pensait-on et personne n’était inquiet, ils allaient vite rentrer ! 

Or, deux mois et demi plus tard, un seul des trois revenait dans un état squelettique. Il tenait à peine debout, ne pouvait plus s’alimenter et avait même des difficultés à parler. Il revenait de la «colline de la mort » de Römhild où, son copain Daniel Passetemps, mon père, avait trouvé la mort. Quant au troisième… il était présumé avoir été hospitalisé, mais personne n’a jamais su ce qu’il était devenu !

Est-ce que mon père était déjà sous surveillance et soupçonné d’être le meneur ? Jouait-il à l’arrivée du policier un air compromettant ? Ce qu’il y a de certain c’est qu’il était effectivement un amateur d’une musique «proscrite par les nazis », le jazz  dont il jouait dans un orchestre avant son départ !

Son acte de décès officiel, établi et délivré par le Bureau de l’Etat Civil des déportés au Ministère, ne fut notifié que le 30 novembre 1946. En 1949 il était reconnu «mort pour la France » !

Quant à  son corps, il ne fut officiellement déclaré retrouvé, par le Service de l’Etat Civil et des Recherches du Ministère, que le 12 mai 1953, soit près de 10 ans après son décès…Il ne pouvait être ramené en France car il avait été jeté anonymement par les SS dans une fosse commune ouverte à Römhild.

Combien y a-t-il eu de victimes dans cet AEL, au cœur de ce Kommando de Buchenwald, qui a fonctionné de fin 43 à début 45 ? Nul ne le sait exactement et les chiffres avancés ne sont qu’approximatifs. En effet, lors de la première visite que j’ai effectuée avec les miens, pour me recueillir sur les fosses communes et faire un «pèlerinage » au sommet du Gleichberg, une élue municipale de Römhild qui s’était proposée de nous accompagner, nous indiquait que seulement certains décès avaient été déclarés à l’état civil…mais le Bourgmestre était jusqu’à l’arrivée des Alliés un dignitaire nazi notoire.

Combien y a-t-il eu également de détenus qui sont passés par ce camp, mystère ! Seuls les SS de Buchenwald en avaient la gestion et la Gestapo se chargeait de remplacer les morts et les vivants sortis sans en rendre compte à quiconque et en veillant d’ailleurs à mélanger soigneusement les nationalités, pour brouiller les cartes !

Comme la grande majorité des camps nazis, celui-là était très isolé à une dizaine de kilomètres de la ville et d’accès contrôlé par les SS. Il était entouré d’une forêt dense et installé au sommet d’un piton de près de 700 mètres d’altitude à la sortie de la carrière de basalte exploitée par les détenus. Il en résultait un black-out presque total pour la population environnante. Même les détenus qui descendaient au village pour des corvées étaient toujours sous une étroite surveillance et prisonniers de leur langue.

Les Russes qui ont élevé une stèle près des fosses communes n’y ont fait graver que les noms fournis sans doute par la municipalité… Ils sont au nombre de 170 et parmi eux une quarantaine de Français. Après la chute du mur les Allemands ont eux aussi élevé une colonne avec ces mêmes noms et quelques autres ! 

 Des cadavres ont également été découverts dans les bois autour du camp, ensevelis à même la terre, un  cimetière juif comprenant 2 fosses communes est aussi visible sur un côté de la colline …et surtout, en 1947, un charnier contenant 70 corps, dont des aviateurs américains encore reconnaissables à leurs uniformes, a été découvert par hasard  dans une galerie éboulée creusée à flanc de colline. Il s’agirait de détenus jugés trop faibles pour entreprendre la «marche de la mort » vers Flossenbürg à l’arrivée des Alliés.  Combien de ces malheureux sont encore morts au cours de cette marche forcée, on ne le saura jamais !

Le mont Gleichberg hébergeait donc bien un bagne doublé d’un camp d’extermination pour les plus faibles, «à Röhmild on tient le coup ou l’on crève » déclarait Jean GRIET, l’un des rares rescapés de ce camp de la mort. L’on en sortait en effet que de deux façons, soit brisé et marqué à vie, soit par la carriole qui descendait presque chaque matin au village pour déverser son macabre chargement dans l’une des 3 fosses communes creusées près de l’église…

Plus d’une centaine de petits camps dépendant du camp central de Buchenwald  ont été ainsi rayés de notre mémoire !  Et pourtant bon nombre de requis et de STO, par ailleurs souvent qualifiés de mauvais français, ont, tout comme mon Père, été déclarés «morts pour la France » dans ces camps étrangement non reconnus officiellement ! Tous les camps principaux avaient d’ailleurs des Kommandos similaires également oubliés !

Voilà près de 70 ans que les restes de mon père, victime des Lois de Vichy et de la barbarie nazie «reposent » en terre allemande dans une fosse  commune totalement oubliée de la France !

Merci à Jean GRIET pour son témoignage publié en 2011 « En Thuringe, 5 jeunes… » Je l’ai découvert récemment sur le site requis-deportes-sto.com. Grâce à la boite de dialogue qui m’a mis en contact avec le Président, j’ai pu ainsi prendre contact avec Jean Griet. Il était détenu à Römhild pendant l’agonie de mon père dont le nom est gravé, avec celui de ses propres camarades, sur la partie de stèle qu’il a photographiée. Ils doivent d’ailleurs eux aussi être couchés avec lui dans l’une des fosses communes.

J’avais beau connaître le lieu de décès de mon père, les fosses où son corps a été jeté, j’ignorais encore quelle était vraiment la vie dans ce camp et pourquoi il y était décédé aussi vite…le témoignage de Jean Griet, avec qui je me suis entretenue, m’a donné la réponse qui me manquait !

Si les anciens du STO ont souffert d’être considérés comme des bannis, voire de mauvais français, leurs enfants ont connu les mêmes souffrances, même si leur père a été reconnu «mort pour la France » ! La France de la Libération soupçonneuse envers les Requis et STO a aussi eu des répercussions néfastes sur leurs familles, accentuant même parfois leurs propres problèmes…“Il n’aurait pas du partir, il fallait l’en empêcher, Pourquoi ceci…Pourquoi cela...“

C’est ainsi que le décès de mon père a provoqué dans ma famille un tel traumatisme que j’ai passé une partie de mon enfance dans un orphelinat !

Viviane Passetemps-Poulin     août 2013