Pas seulement l'Allemagne


Saückel, sur les instruction d'Hitler, ne limita pas la déportation des travailleurs étrangers au seul territoire allemand. Nombre d'entre eux furent envoyés en Norvège, en Autriche, en Tchécoslovaquie et en Pologne. Nous reproduisons ici l'une des pages marquantes de cette époque avec "Ceux de l'Arctique"


Il y eut 4.000 déportés du travail français en Norvège. Arrivés et regroupés dans deux camps à Stettin, début avril 1943, ils furent alors affectés aux terrassements et déblaiements après les bombardements. Puis un peu plus tard, plus de 3.000 d'entre eux, le 10 mai, et quelques centaines, le 10 juin, quittent ce port pour les destinations respectives de Stavanger et de Bergen dans le sud norvégien.

Un troisième convoi, les 183 qui restent, part le 4 juillet 1943. Sa destination est différente. C'est le grand nord. Voici l'itinéraire suivi. En chemin de fer, wagons de marchandises, jusqu'à Dantzig (Gdansk). Là, embarquement sur le cargo "Gottenland" jusqu'à Piétarsaari, sur le golfe de Bothnie, en Finlande. Puis ils empruntent le chemin de fer jusqu'à Rovaniémi sur le cercle polaire : ils y fêtent le 14 juillet. A cette époque, la voie ferrée s'arrêtait là. C'est ensuite la route de Laponie, une piste : Sodankylä, Ival, Karigasniémi, en Finlande, et, en Norvège, Karajosk, Lakselv et Kirkenès, sur l'Arctique, le 17 juillet pour certains. Kiberg, entassés sur un cotre pour les autres. Ils sont à 400 kilomètres au delà du cercle polaire, répartis sur le Fjord Varanger, entre le cap Nord et Mourmansk.

Le Travail dure douze heures par jour, une demi-heure de pause à midi, deux jours de repos par mois : terrassements, constructions de fortifications, de routes, aménagement d'un aérodrome, percement d'un tunnel, toujours dehors par un froid qui, dès octobre, atteint -25°C. Il neige depuis le 20 août; il fait nuit à 14 heures. Au large, les pilonnages sont continuels. Certains vont dans les mines de nickel de Kolosjoki (aujourd'hui Nikel). Les disciplinaires travaillent sous les bombes entre les deux artilleries. La nourriture est celle théoriquement allouée aux prisonniers de guerre soviétiques : Satz vier (nourriture n°4). Interdiction formelle de révéler aux familles où ils se trouvent. Le courrier est acheminé en utilisant des timbres spéciaux, en cinq semaines, dans les deux sens, par des secteurs postaux : Feldpost 47547 W ou 47547 X ou 44803 DB. La population : des Déportés du Travail de différents pays d'Europe, y compris des Norvégiens du Sud et des Prisonniers de Guerre soviétiques du front de Finlande qui perçoivent des rations réduites. Pas de Prisonniers de Guerre ni de concentrationnaires français sur ces terres boréales.

Un Meister leur dira : "Ici, vous êtes au cul du monde".
Automne 1944, quinze mois après l'arrivée des Français : offensive soviétique. Pertsamo (Petchenga) tombe le 14 octobre, Kirkenès le 25. C'est l'exode, souvent à pied : Elvenès, Linhamari, Neiden, Tana (vaste détour par le nord), Lakselv, Bardu et sa région montagneuse de novembre 1944 à février 1945 (-40°C -50°C, le jour ne dure que deux heures). C'est l'enfer blanc. Ils gagnent alors Narvik puis - terminant un périple de 1.050 kilomètres - Témerneset où ils sont enfin libres, le 10 mai 1945, deux jours après l'Armistice. A la fin du mois, la mission française ignore toujours leur existence. Ils seront répertoriés un peu plus tard...

Is reviennent à Narvik du 3 au 13 juillet. Et c'est le rapatriement par la Suède. Un accueil inoubliable leur sera réservé. Ils repassent le cercle polaire deux ans jour pour jour après l'avoir traversé dans l'autre sens. Ils embarquent à Malmö le 1er août via Copenhague, Kiel, Hambourg, Trèves puis, par la Hollande, Arnhem, Bruxelles et Valenciennes, ils arrivent à Paris le 8 août 1945. Le surlendemain, le Japon accepte l'ultimatum de Postdam. C'est la fin de la deuxième guerre mondiale. L'un deux, Louis Viaud, muni d'une fausse permission, procurée par un norvégien, a retrouvé la France. Il a pu gagner l'Espagne le 23 mars 1944 et, par Miranda, rejoindre les forces navales françaises libres à Casablanca. Personne ne voulait croire son odyssée.

Si tous étaient revenus, si certains n'avaient pas, à 20 ans, complètement ruiné leur santé en Laponie, ce récit, aujourd'hui, ne serait-il pas qu'une saga ?